La pièce «Toréadors»
D’un côté Momo, gérant d’un Salon lavoir, immigré bien intégré et fier de l’être. De l’autre Ferdinand ex-Cadre au chômage et sans domicile fixe.
Un soir peu avant la fermeture, Ferdinand débarque, s’incruste, et insiste pour qu’on lui lave son pantalon… Momo rechigne dans un premier temps, mais finit par accepter de lui rendre ce service.
Ces deux compères fiers comme deux Toréadors, et qu’à priori tout sépare, adorent la tchatche et le débat en tout genre. L’un comme l’autre comptent bien faire partager leurs idées, ce qui va évidemment les réunir et transformer petit à petit leur rencontre en amitié.
Mais c’est sans compter sur l’influence et la stratégie bien ficelée d’un troisième personnage, tapi dans l’ombre, guettant les moindres faits et gestes de ces deux boucs émissaires des temps modernes: «l’ultralibéralisme», notre système de fonctionnement actuel.
Un système, que nous critiquons et cautionnons à la fois.
Un système où les gens condamnés à la compétition se retrouvent bien malgré eux à gérer les paradoxes de leurs vies : à la fois amis et ennemis, solidaires autant que rivaux….
Momo, dans sa naïveté soutient que ce monde sans vergogne dans lequel nous vivons est bien fait, surtout lorsqu’on est honnête et travailleur. Ferdinand lui, roué et cynique s’ingénie à démontrer qu’il s’agit avant tout de sauver sa peau. Chacun pour soi! Quitte à évincer l’autre et prendre sa place.
Cette controverse se transforme très vite en duel, et le Salon lavoir est l’arène idéale pour laver le linge sale de la société… Yen et mondialisation, justice et grands de ce monde, dopages, patrons exploiteurs, tout y passe… les thèmes s’enchaînent comme les coups dans un combat… pour qu’à la fin il y ait un gagnant et un perdant… Mais à quel prix !
- Texte : Jean-Marie PIEMME
- Mise en scène : Alain DUCLOS
- Interprétation : Éric PAUL et Merouan TALBI
- Scénographie : Édith HENRY
- Création Lumières : Valentin CAILLIERET
- Chargée de production : Élise DAVID
- Production : La Pluie d’Oiseaux
Toréadors, une pièce d’actualité
«Toréadors» est un miroir de la vie d’aujourd’hui, où l’individualisme, la peur du lendemain, la peur de perdre un statut ou un emploi, alimentent une quête : celle de ne pas sombrer, ne pas se trouver à la rue, ou pire ! Disparaître aux yeux des autres.
«Toréadors» où la règle de la survie devient la seule possible, et où
le frère devient l’ennemi potentiel, et l’ami, celui qu’il faut évincer pour
prendre sa place ou plutôt son travail.
Aborder «Toréadors», c’est entrer dans la partie la plus obscure, la plus sombre de l’individu. L’enjeu y est sa propre vie, et la survie s’affirme comme l’objectif incontournable et primordial.
La pièce de Jean-Marie Piemme, écrite voilà 15 ans est d’une actualité mordante. Elle dévoile avec une ironie exacerbée le naufrage de notre société, organisée, codée et structurée autour du travail.
Enlevons les barrières morales, la solidarité, l’emploi, alors la réalité nous apparaîtra crue: l’homme redevient un animal effrayant, prêt à tout.
Plus rien n’existe dans cette tornade. L’intelligence, le savoir être, la culture, se retournent en arme manichéenne et stratégique ne visant qu’à rendre possible la sauvegarde de l’individu dans le naufrage du chacun pour soi.
Je suis la cible et j’ai honte de devoir évincer l’autre pour que mon existence ait un sens, c’est la loi de la survie !… Question de vie ou de mort !… L’époque n’est pas bonne pour les gens honnêtes, les optimistes et les naïfs : voilà ce que nous apprend Toréadors, ne laissant qu’une image bien flétrie d’un monde empathique construit sur la compassion et le respect de son prochain.
Jean-Marie Piemme et le Théâtre
Selon Jean-Marie Piemme, Le Théâtre est comme un océan dans lequel des petits bouts de bois sont jetés : des brindilles dont la plupart, ballottées dans tous les sens par l’ampleur et la forces des vagues, flottent toujours.
L’océan dans la symbolique théâtrale de Jean-Marie Piemme représente donc le monde qui nous entoure et dans le quel nous vivons. Un monde agressif et sans pitié… C’est le monde de la consommation à outrance, de l’insignifiance, de l’argent, du racisme, de la marchandisation généralisée de nos idées, de nos valeurs et de nos comportements.
Les brindilles quant à elles représentent bien entendu les gens… Nous les gens, les individus qui composons cette société, mais qui, contrairement à des morceaux de bois sans âme, ni vie, sommes vivants, et par conséquent notre lutte est double: d’une part en résistant aux vagues houleuses de ce monde ultra-individualiste qu’est le nôtre, pour exister et d’autre part en luttant intérieurement pour rester en bonne conscience avec nos paradoxes et les tumultes de nos passions.
Pour Jean-Marie Piemme, le Théâtre n’est pas là pour dénoncer cet état de fait : car ce monde dans lequel nous vivons, c’est nous qui le construisons, pour nous et contre nous paradoxalement. Par nos actes inconscients, nous cautionnons ses travers aux profits de celles et ceux, les Puissants qui prônent le capitalisme triomphant.
Le théâtre est là pour mettre en valeur cette double lutte, c’est dire comment dans un monde sans vergogne, où rien n’est assuré, les individus vont chercher à exister coûte que coûte, sans trop perdre.
Interview de Jean Marie Piemme sur sa Pièce
« Toréadors, est un affrontement verbal »
Comment ce texte est-il né ?
Au début des années 2000, la question de l’emploi et la peur du chômage était déjà dans tous les esprits. Je me suis donc dit qu’il était possible de créer une pièce à partir de cette thématique, mais d’une manière très théâtrale et surtout pas démoralisante. D’où l’idée de ces deux personnages un peu improbables, avec d’un côté l’ex émigré devenu le gérant d’un lavomatique, et de l’autre le cadre qui a perdu son emploi. L’objectif est de rester toujours dans le propos, sans plomber les gens pour autant.
Imaginiez-vous que « Toréadors » serait toujours d’actualité dix ans plus tard ?
Je le pressentais un peu à l’époque, mais je ne pensais pas que la situation prendrait un tournant aussi dramatique. L’accélération du chômage enregistrée ces dernières année sa rendu la réalité pire que je ne l’aurais imaginée.
Pourquoi avoir situé l’action dans un lavomatique ?
C’est par essence l’endroit où l’on déballe son linge… et où on lave son linge sale. Or les deux personnages de la pièce font précisément cela, au sens propre mais surtout au sens figuré du terme. Ils déballent pas mal sur la monde et sur la société, qui ne les réjouissent guère. Mais symboliquement, on peut aussi dire que dans un lavomatique, le linge sort propre…
Les rapports entre les deux personnages laissent supposer qu’une amitié est possible…
D’un autre côté , je ne voulais pas donner de faux espoirs aux spectateurs. Nous vivons dans un contexte difficile, il faut prendre acte de cette réalité. Ces deux hommes sont amis, mais l’état même de la société met leur relation en péril. Dans notre système actuel de fonctionnement, les gens se retrouvent souvent en compétition les uns contre les autres. Ils sont à la fois amis et ennemis, solidaires les uns des autres mais mis en position de rivalité. D’où des situations assez compliquées. Pour moi il n’était donc question d’imaginer un « Happy end »
Le titre de la pièce traduit donc la mise à mort d’une amitié…
J’ai appelé ce texte Toréadors car je voulais décrire l’affrontement verbal auquel se livrent les deux personnages. En revanche, je ne suis pas sûr que leur amitié soit tuée au cours du combat. Elle subsiste à mes yeux, même si elle se retrouve mise de côté par la perversion du système.
Votre écriture sublime toujours le quotidien le plus banal. Pourquoi ce choix ?
Je me dois de donner une certaine forme au langage. Je tiens à rester clair, accessible, tout en conférant au propos une certaine puissance. De surcroît, l’auteur doit fournir une écriture bien façonnée afin de permettre à l’acteur de déployer toute sa capacité de jeu. Sur Toréadors, j’ai beaucoup travaillé sur les paradoxes et la virtuosité. C’est ce qui donne à la pièce son humour et son atmosphère.
Extraits
Momo : Qu’est-ce vous leur voulez aux hommes politiques ?
Ferdinand : Parfois leur vulgarité m’afflige.
Momo : Donc, vous leur lancez la pierre, c’est ça ?
Ferdinand : Cette façon de se produire comme des bêtes de spectacle ! La prostitution de l’intimité n’a plus de limite….
****
Momo : Nous avons chez nous des hommes politiques exceptionnelles…Certains d’entre eux ont tellement d’enthousiasme qu’ils ne font plus de différence entre leur argent, l’argent du parti et l’argent de l’État…Pendant que les politiciens vont au charbon dans la sueur et la souffrance, nous roulons carrosse sur les paillettes de la vie…
****
Ferdinand : L’autre jour, un curé s’est penché vers moi et m’a dit : courage, mon gars, tu es le fils secrètement aimé de Dieu.
Momo : Et ça vous a fait quoi de l’apprendre ?
Ferdinand : Je le savais déjà…plus Dieu vous aime plus il vous envoie des épreuves. SI vous ne savez pas où est Dieu cherchez-le dans les emmerdements… comment bien juger ses pensées?
***
Momo : Vous êtes un homme à principe. (…) Vous n’aimez pas qu’on vous approche?
Ferdinand : Plus d’un homme s’approche de vous avec le sourire, et la seconde d’après vous met le couteau sous la gorge.
Momo : Je n’ai pas de couteau. Je suis un type honnête. Je suis honnête autant qu’il est possible de l’être dans un monde qui ne l’est pas, je suis…
Ferdinand : Un con.
Momo : Un con?
Ferdinand : Un type honnête dans un monde qui ne l’est pas est un con…
.
.
Ferdinand : …Dans le monde de la survie, ton frère est aussi ton ennemi…
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